Le souci du détail

Entretien

Il faut être un caméléon, capable de s'adapter et de ne pas s'effrayer facilement. S'attaquer à un gros problème en le divisant en un ensemble de problèmes plus petits
Ce n'est pas tous les jours que nous avons l'occasion d'interviewer des acteurs majeurs du secteur, des personnes qui ont des dizaines d'années d'expérience et des connaissances inestimables. Jean-Luc De Rycke fait partie de ces personnes. Fort de plus de 35 ans d'expérience, Jean-Luc est le directeur du développement durable d'Utexbel, un groupe textile basé en Belgique. De la fibre au tissu fini, Utexbel est le leader du marché des marchés publics, des vêtements de travail de protection industrielle, des vêtements de loisirs et des textiles techniques. 
« Utexbel a une longue histoire », commence Jean-Luc. « L’entreprise a été fondée en 1929, une année de crise. Elle est née de la fusion de plusieurs familles d’agriculteurs et, jusqu’à aujourd’hui, elle reste une entreprise familiale. Utexbel s’inscrit dans la grande tradition textile belge. Au moment de la Seconde Guerre mondiale, notre petite ville de Renaix comptait 25 000 habitants ; 21 000 d’entre eux travaillaient dans l’industrie textile. On peut dire qu’à part le curé, le notaire et l’instituteur, tout le monde travaillait dans le textile », plaisante Jean-Luc. 


« Au cours de ses premières années, Utexbel s’est spécialisée dans la filature, le tissage et la production de fils et de tissus de coton. La première activité de l’entreprise était axée sur la production de tissus pour imperméables », explique Jean-Luc. « Lorsque j’ai commencé à travailler chez Utexbel, il y a 35 ans, nous produisions principalement du coton polyester, certains pour des applications militaires, d’autres pour des imperméables, des vêtements de sport et différents tissus de mode. Aujourd’hui, nous produisons environ 3 000 tonnes de fil dans notre filature open end et environ 1 000 tonnes de fil de laine par an ».
« Il y a trente ans, nous avons introduit les fibres d'aramide pour créer des fils très spécifiques et fonctionnels avec une finition chimique limitée. On peut par exemple fabriquer un imperméable en coton grâce à des finitions chimiques, mais cela est assez dommageable pour l'environnement. L'utilisation de fibres d'aramide réduit considérablement l'impact environnemental négatif du processus de production ». 

Nous sommes l'une des rares entreprises de génération en génération qui peuvent dire fièrement que nous fabriquons des produits textiles européens locaux

« Utexbel est devenue une entreprise unique dans le monde du textile. Elle est entièrement autonome et fait partie des rares entreprises textiles entièrement intégrées verticalement », explique Jean-Luc. « De la fibre au tissage, nous gérons tous les processus de production en interne. Nous disposons de notre propre filature, de notre propre tissage et de notre propre entreprise, le tout à proximité de Renaix, la ville natale d'Utexbel. » 
La meilleure façon d'apprendre est de prendre les choses en main et d'analyser soigneusement les différentes spécificités qui se présentent à vous.
« La force d’Utexbel réside dans nos circuits commerciaux courts. Le choix courageux que notre direction a fait il y a des années de conserver nos filatures en mains propres, locales et européennes, et de ne pas les sous-traiter comme beaucoup d’autres l’ont fait, nous permet de rester pionniers dans notre secteur. Notre circuit court nous permet d’accéder facilement aux éléments de base nécessaires au développement et à la production », explique Jean-Luc. 
Le plus grand défi auquel nous sommes confrontés en tant qu’industrie aujourd’hui est de développer avec succès des produits circulaires
« Ces dernières années, nous nous sommes concentrés sur le développement de produits circulaires », explique Jean-Luc. « Nous essayons de trouver des solutions pour réutiliser un grand nombre de tissus produits aujourd'hui en Europe. À cette fin, nous avons développé notre gamme « Dr. Green ». Il s'agit de tissus destinés aux vêtements d'hôpital, dont la matière première provient de vêtements d'hôpital usagés ». 
Jean-Luc : « Nous récupérons les blouses blanches des hôpitaux et autres vêtements professionnels et en retirons les matières non textiles et les touches de couleur, ce qui nous laisse une masse textile entièrement blanche. Cette masse est ensuite déchiquetée et mélangée à des fibres vierges pour créer de nouveaux fils et de nouveaux tissus qui peuvent être lavés cent fois et rester ainsi utilisables pendant environ deux à trois ans. L'objectif de « Dr. Green » est de fabriquer des textiles et des vêtements recyclés ayant une longue durée de vie, tout en restant très fonctionnels et en maintenant un niveau de performance élevé ».
« En plus de Dr. Green, nous avons également développé une gamme de fils circulaires à base de déchets pré-consommation, contrairement à Dr. Green qui est fabriqué à partir de déchets post-consommation. Les déchets pré-consommation sont principalement des déchets de coupe de confiserie. Ils présentent l'avantage d'être de meilleure qualité car ils n'ont pas été lavés et ne contiennent pas de matières non textiles ». 
Jean Luc : « Les déchets industriels constituent notre troisième source de matière. Les déchets industriels se présentent toujours sous forme de récipients. Avec ceux-ci, nous pouvons refiler des fils et créer de nouveaux fils ou tissus ».
Notre plus grande force et notre survie dans un secteur difficile sont que, quoi qu'il arrive, nous continuons à écouter nos clients et à nous concentrer sur le développement de produits.
« En 35 ans, j'ai vu de grands changements dans le secteur », commence Jean-Luc. « Il y a plus de trente ans, l'accent était mis sur la qualité. Le débat général était alors : que proposons-nous et où nous positionnons-nous par rapport à nos concurrents ? La certification de la qualité était essentielle. Au fil du temps, une grande tendance s'est développée vers l'automatisation des niveaux de filage et de tissage. Beaucoup de nos collègues/concurrents ont investi dans cette automatisation, mais cela impliquait également de limiter la variation de leurs produits, ce qui s'est avéré fatal pour beaucoup de ces entreprises. Chez Utexbel, nous n'avons jamais sauté sur cette tendance, nous avons plutôt continué à écouter nos clients et à nous concentrer sur le développement de produits. C'est devenu et reste notre force ». 
L'écoute et le suivi des besoins différents et changeants de chaque produit et processus de production nous permettent de nous améliorer en permanence. Pour cela, nous avons développé notre propre système intégré unique
« On l’oublie souvent, mais le processus textile est un processus long et complexe. Les fibres qui entrent aujourd’hui dans la filature en sortiront sous forme de tissu six mois plus tard. Les choses changent en six mois, c’est pourquoi la communication avec notre client est essentielle », explique Jean-Luc. « L’écoute du client devient encore plus importante lorsque l’on travaille pour les services publics. Il faut être très bien informé sur les coûts et les normes associés aux services. Nous nous consacrons à développer un système complexe autour des complexités de notre secteur ». 
« Le système permet à chaque élément de notre processus de production d’être dans la boucle avec les bonnes spécifications pour fabriquer le bon produit. Il nous permet de créer une dynamique de développement hautement fonctionnelle et actualisée qui peut être appliquée à différents produits. C’est ainsi qu’un produit et un processus de production progressent », ajoute Jean-Luc. 
« Au cours des dix dernières années, la création d’un système intégré de spécifications de produits s’est avérée encore plus importante en raison de l’ajout d’aspects durables aux exigences des produits », explique Jean-Luc. « Le plus grand défi de travailler avec un système comme celui-ci est de faire face à la multitude de réglementations. Si vous parvenez à surmonter cela, le système fonctionnera à votre avantage ».


Le succès dépend d'une multitude de détails. L'IA n'est utile que si vous prêtez attention aux détails et pouvez lui fournir les bonnes informations de base

« Pour ne pas se laisser submerger par notre « système » et créer le meilleur outil d’IA possible, il faut être minutieux et extrêmement bien organisé », explique Jean-Luc. « La production textile est complexe si l’on veut contrôler tous les paramètres. La production circulaire rend les choses encore plus complexes ». 
« De la fibre au fil en passant par le tissu, la production textile est une succession de nombreux processus. Certaines propriétés primaires, comme le poids du tissu, sont tout à fait gérables, mais d’autres, comme la perméabilité à l’air, sont moins gérables et sont de plus en plus demandées aujourd’hui. L’IA allège la complexité et augmente l’efficacité, mais seulement si nous alimentons bien le système ». 

Ma génération a grandi avec l'évolution technologique, nous avons vu et absorbé beaucoup de choses, et nous avons dû changer beaucoup de choses. Les jeunes générations naissent dans des structures beaucoup plus complexes. Je pense que l'IA peut être utile ici

Merci Jean-Luc de nous enrichir de vos nombreuses années d'expérience.